La page blanche. C'est cette chose absolument terrible qui vous mange votre âme d'écrivain. Ou de chercheur dans le cas présent. Challenger : Juste. Sujet : tenter de compiler de la donnée en vue d'une méta analyse sur un sujet très très pointu même pour lui. Objectif : Écrire l'article préparatoire à la Méta Analyse avec la méthode utilisée pour le soumettre à la revue par les pairs. Alors qu'on soit clair , on lui demande pas du Alexandre Dumas et du Victor Hugo. Y'a rien de plus .... fastidieux à lire qu'un article scientifique. C'est bien pour ça que les gens croient toujours les autres qui disent "J'ai lu, y'a marqué ça , j'ai raison" et qu'ils vérifient jamais, les journalistes en tête. On lui demande même pas de refaire du César de Raoulx , c'est pour dire. Ça aurait été drôle pourtant, une méta analyse écrite comme un roman d'amour, avec genre, si le résultat est positif ou non, un happy-end entre les données et le chercheur. Mais non, malheureusement, rien de ça. Tant pis. N’empêche que là, il lui faudrait une phrase d'entame et qu'il la trouve pas.

Pourtant, il a fait tout ce qu'il a l'habitude. Il a fait la cuisine.  Il a bêché le jardin. Il a lu (et a été heureux de savoir que oui , à la fin de son livre, les Roméos et Juliettes de circonstance ont finit ensemble sans aucun mort, c'est absolument miraculeux) (Oui , alors il le savait déjà, à un moment où le suspens était vraiment insoutenable, il est allé se spoiler la fin)(C'était ça ou pas dormir de la nuit)(Garance lui avait dit trois fois de "lâcher son foutu bouquin, tu vas être mort demain")(Au moins, le livre est fini)(Faut trouver son successeur d'ailleurs). Il a joué avec Bouillotte. Il a brossé Galadriel. Il est allé s'occuper de Vigie (et à tenter de lui faire travailler sa souplesse parce qu'elle est un chouia raide en ce moment) (Il faut qu'il appelle l'osteo équin, ce sera pas du luxe.) Il a fumé clope sur clope. Rien ne marche.  Il est maintenant 15h. Il y est depuis ce matin 9h30. Clairement, ça va pas. Reste la solution de dernier recours.

"Lolita. Sortie !"

La chienne porcelaine débarque avec ses grosses patounes maladroites, en joie totale. Dans sa tête de cabot, "Sortie" est aussi excitant que "Viens Manger" ou "Bah alors mon 'hien ?". Un jour , elle sera assez intelligente pour se pointer avec sa laisse. Un jour. Mais clairement pas aujourd'hui. Juste attrape son blouson, vérifie que tout ce qui se trouve dans ses poches (dont la laisse) s'y trouve bien, verrouille son ordinateur, adresse une gratouille-salut à chacun des chats avec un "je reviens" supplémentaire à Bouillotte avant d'emmener mademoiselle Lolita dans une balade dont elle lui dire des nouvelles. Pas besoin de laisse à cette heure là, il n'y aura pas grand monde dans les rues à cette heure là. Puis si elle a bien des défauts de dressages (merci Garance), Lolita a un rappel plus que correcte. C'est qu'elle aurait tellement peur qu'on l'abandonne qu'elle radine à la seconde.

Juste descend la rue qui mène à la maison vers les artères principales pour rejoindre l'avenue Marius. Il s'est allumé la clope de circonstance et suit une Lolita qui trottine devant et l'attend dès qu'ils ont entre eux une distance excédent les 3 mètres. Elle attend même au passage piéton, c'est pour dire. C'est qu'elle serait quand même bien dressé quoi qu'il en dise . La ballade prend du temps pour rejoindre la Grande Plage presque déserte à cette saison de l'année. En même temps, il doit faire dix degrés à tout casser. Certes ça n'a rien à voir avec les hivers alsaciens mais Juste ne regrette clairement pas son gros pull irlandais crème sous le blouson, surtout quand l'air du large se fait mordant. Une fois un coussinet posé sur le sable, Lolita évacue sa dose d'excitation qu'elle semblait refouler pour maintenir un comportement irréprochable. C'est qu'elle n'aime pas spécialement la laisse et a plus ou moins compris que hors quelques circonstances obligatoires ou situation qui s'y prête, tant qu'elle obéit, elle est libre. Mais là, elle se roule dans le sable, va cavaler dans les vagues, en ressort trempée, trouve un bâton, joue avec, aperçoit un type, trouve le type plus intéressant que le bâton et eeeeeehhhh ?

"Lolita ! Ici ! Tout de suite."

Par chance, elle semble revenir à son état "normal" et revient à la jambe de Juste. Par contre, le type a deux grosses traces de patounes griffues sur son haut . Juste s'approche ...

"Je .... désolé ... ça va ?"

Juste gronde la chienne du regard. Il n'arrive pas à savoir si ce mauvais comportement vient du dressage de Garance. Peut être que c'est une nouvelle technique pour déstabiliser le potentiel tueur de la DGSI pour tout aussi potentiellement venue les éliminer, à croire que les agents de la DGSI , ça n'est pas capable de venir juste prendre des congés dans le sud ou pour voir la famille pour les rares cas de figure où il y en aurait qui se baladaient dans Saint Lionel, parce que dans le genre hypothétique, ça se pose là ? De toute façon, avec Garance, le monde extérieur est fait d'hypothèses dont elle choisi toujours les pires comme possible. Genre, là, elle serait là, ça serait la faute du mec, parce qu'il aurait attirer Lolita pour l'enlever et que sais-je, parce que c'est un inconnu et qu'il est forcément vil, très vil , et louche de surcroit. Le monde à travers les yeux de Garance était toujours une chose très drôle à regarder avec beaucoup de dérision ou deux shots de vodka. Ou les deux.

Le type agite les mains, Juste fronce les sourcils , perplexe. Deux hypothèses (parlant d'elles) contradictoires s'entrechoquent dans sa caboche, au milieu de la mélasse de chiffres, de nombres et d’algorithme habituelle qui grogne en bruit de fond, presque tout le temps. Soit le type a vraiment eu la frousse de sa vie , au point où il en a perdu la voix et qu'il est en train de se remettre de ses émotions et que vraiment avoir un Juste, gros nounours grincheux, en face de lui, c'est pas le meilleure de chose. Soit le type utilise la langue des signe et Juste est tout autant dans la merde, parce que la dernière fois où il a fallu qu'il bosse vaguement, très vaguement cette langue, c'était lorsqu'il s'était dit en sortant de classe prépa qu'il avait brusquement, genre, du temps, que les profs avaient plus ou moins dit que tous les cours de l'école étaient accessible et qu'il s'était perdu dans un cours de Sémiologie, en linguistique, pas en médecine. Et là , il a beau tenter de décomposer vaguement avec ses doigts, il sait pas trop ce qu'on est en train de lui dire. D'ailleurs il en a lâché Lolita qui revient faire la fête au type a grandes lampées sur ce qu'elle peut atteindre. Qu'importe, Juste montre ses propres lèvres, puis fait semblant d'écrire sur sa main pour accompagner ses paroles

"Vous comprenez ce que je dis en lisant sur mes lèvres ou vous préférez que j'écrive ?"

Il détaille chacun de ces mots calmement, c'est que ce type paradoxalement a le droit à plus que ses monosyllabe. D'ailleurs il ne s'est même pas demandé s'il était pas juste muet, et dans ce cas sa question est idiote voir malvenue.

Lolita lâche enfin le type une seconde fois , fixant la mer et l'horizon, grognant et aboyant à tout va, sans raison apparente pour son humain qui soupire.

"Lolita. Papillon ? Mouette ? Poisson ?"

Comme si elle pouvait répondre hein.