Fait longtemps qu'il n'a plus le coeur chantant, Gabin. Y'a qu'la mer qui lui parle encore, qui lui fait perdre son regard sur les vagues comme si c'était des partitions. L'air salin qui picore sa peau, lui donne souvent cette impression que c'est lui l'instrument ; ne sait pas bien ce qu'il peut donner comme son, sans doute qu'il sonne mal ; carillon mal réglé, tout comme sa tête qui hurle sans cesse.
Un cri, dans la ville.
Un cri, silencieux.
La bouche est close, depuis trop longtemps ; le coeur aussi, sans doute. Gabin ne sait jamais plus quoi dire, les expressions nées mortes ; juste cette colère qui gronde, gronde ; et l'épuisement de l'être. Les épaules sont basses, l'ego froissé telle une boule de papier oubliée à côté de la poubelle ; le silence, encore et encore.
L'oeil éteint ; visage placide.
Les doigts qui viennent à prendre une boîte de céréales presque au hasard - pas une marque, s'en fout, le chocolat a toujours le même goût. Balancée dans le panier ; la mer lui manque ; se détourne, le regard qui tombe sur un visage qu'il n'avait pas vu depuis si longtemps ; sa famille aussi.
Arrêt sur image ; personne ne prend de photo pourtant.
Il a l'air con, Gabin, d'avec son panier de courses où se battent en duel des escalopes de poulets, une boîte de champignon de paris, du café soluble et sa boîte de céréales.
Ou bien, il a juste l'air ordinaire.
N'importe qui pourrait avoir ce panier ; c'est pourtant son frère qui le porte ; le traître. Et Gabin a conscient de ce statut - le sait même trop bien tant il lui colle à la peau, tant il lui donne envie de plonger à l'eau ; se perdre dans les vagues. "Aimée." Gabin ne sait pas si sa voix tremble ou si elle sonne comme d'ordinaire - peut-être un poil sèche, dû au pic de stress qui est grimpé dans ses veines. "Salut." Et il est prêt à passer sa route, la laisser tranquille, continuer à être le fantôme de cette famille qui n'a pas besoin de lui.
Qu'il ait besoin d'eux n'a aucune importance.