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Occupation : Employé polyvalent en service civique d'une petite librairie-café-fleuriste associative de l'avenue principale et ouvreur au cinéma César les vendredi et samedi soir (oui parce que le service civique ça paie pas les factures les enfants).
Petit poète |
19/01 ; 23h17
La différence qui avait le plus frappé Stanley en quittant Paris était l’offre culturelle. Il lui était apparu avec évidence que les lieux de ce que ses collègues appelaient « la province » étaient nettement moins fournis en activités artistiques que la capitale, quand ils n’étaient pas tout simplement laissés pour compte. Très vite, il avait percuté que Saint Lionel avait les fichiers des films après tout le monde et surtout qu’il ne fallait même pas penser à la Version Originale, pour être sûr que le cinéma soit rentable (il mettait toutes ses billes dans la 4DX et pas dans le cinéma d’auteur). Remarque, cela lui permettait de bosser son français, alors qu’il montait dans la cabine après avoir vérifié les tickets des visiteurs.
Pauvres Créatures, compte tenu de son casting et de la notoriété de son réalisateur, était arrivé dans la boîte aux lettres du cinéma la semaine dernière pour une sortie ce mercredi ; incroyable. Stanley, qui était resté très perplexe devant cette comédie surréaliste et rétrofuturiste du cinéaste grec, descendait de la cabine de projection pour chasser les (rares) clients de la salle afin de fermer le cinéma. Resté seul, il abandonna l’atmosphère ouatée de la salle vide pour faire un crochet au PMU éternellement ouvert comme un phare en pleine nuit.
« Yo » poussa-t-il la porte d’un coup de coude, entrant sur les lieux avec un courant d’air glacial. « ça va ? »
Il laissa glisser un totebag sur le comptoir.
« Objets trouvés de la semaine, fais-toi plaisir. »
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Petit poète | La différence entre le PMU habituel et le vôtre n’était pas uniquement d’y avoir accolé le mot « bar », ni un titre moins nul qu’« au poney blanc » ou « la civette », mais que vous restiez ouverts après le journal du 20h. Généralement, les piliers qui arrivaient à 6h étaient partis (faut de l’endurance pour s’enquiller autant de demis dans une journée) et c’est le moment où débarquaient les quelques jeunes du coin qui n’étaient pas encore couchés (et parfois une personne en pyjama venue chercher un paquet de clopes). Si certains t’ont déjà demandé si tu tenais grâce au café, au redbull ou la coke, tu as surtout le secret des siestes bien limitées et bien réparties dans la journée (et que ta mère soit encore suffisamment active pour tenir une journée entière, ou presque, derrière le comptoir). Tu salues d’un signe de tête et d’un sourire Stan qui entre dans le bar, presque à l’heure du crime (tu lui as fait la blague autant de fois que tu lui as demandé s’il savait que y avait un titre d’Eminem qui portait son blaze). « A donf, comme d’hab’. Tu commences soft ou tout de suite une pinte ? » Tu jettes un coup d’œil au totebag. « Des trucs cools dedans ? T’as jamais personne qui est venu réclamer ? » Tu jetteras un œil dedans quand t’auras servi ton pote (le plaisir de servir avant tout, tu te dis parfois que tu aurais pu travailler à McDo ou être fonctionnaire, t’aurais été un exemple à suivre). « Plus de monde que d’hab’ ou c’était la loose ? » Faut dire que beaucoup de jeunes le vendredi prenaient la bagnole pour aller à quelques lieux plus vivants, genre une boîte de nuit (ils commençaient la soirée chez toi, ce qui t’arrangeait, quand même). « J’peux relancer une tournée de frites si t’as la dalle. » | | | | Messages : 29
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« Ca dépend pour qui. Nan c’est très rare, en général ils viennent le lendemain. Si c’est pas le cas genre, deux jours après, c’est foutu et ça s’entasse. Le patron dit que c’est à cause de l’affaire des punaises de lit. »
Elle avait défrayé la chronique cette histoire quelques semaines auparavant, et les fréquentations avaient drastiquement baissé partout en France ; pas à St Lionel, pour le coup. En même temps quand ils faisaient 100 personnes par semaine en ce moment c’était un truc de dingue. Il faisait froid et les gens avaient la flemme de sortir. Le plaisir des salles se perdaient, Netflix était moins cher, tout ça.
« Carton plein pour la 4dx comme d’hab. Mais Ready Player One est un bon argument. Personne s’est rien cassé cette fois-ci. »
Stan se hissa sur un des tabourets du bar et s’affala dessus.
« Une pinte c’est bien, je taffe tard demain j’ai le temps de décuver. » Ses petits yeux apparurent derrière sa frange ébouriffée à la mention des frites. « Bah ouais grave, pour éponger. »
Il lui adressa un sourire éclatant, la tempe allongée contre son bras tendu.
« Et toi, bonne semaine ? Des potins ? »
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Petit poète | « Encore une histoire ça… » tu marmonnes d’un ton empathique en rinçant une pinte, avant de la remplir d’un coup de poignet expert (ça faisait 20 ans que t’étais régulièrement derrière la tireuse, t’avais plus que pris le pli). « Il était pas sorti y a des années déjà ? J’avais lu qu’il était tiré d’un livre. Je crois que y a même eu une suite. Ça doit être le chiffre deux là… Too ? » Excusez l’heure tardive, ton anglais était généralement meilleur, déjà parce que c’était l’une des langues les plus utilisées par les touristes (avec l’allemand et le néerlandais, les autres faisaient pas chier et parlaient anglais), et parce que pour faire certains types de recherches sur internet valait mieux avoir une bonne idée de l’anatomie lexicale étrangère. Tu déposes devant la frange la bière et tu vas relancer une tournée, interpellant les quelques rares encore présents sur leur envie d’un petit plat à grignoter - tu aimes faire les frites maisons, et c’est un bon moyen d’employer ton neveu (t’es pas vache et tu le laisses se servir dans les bocals de bonbon en échange, puis il adore utiliser la machine à découper donc tout bénef’).
Tu reviens après avoir lancé l’huile et t’essuies les mais avec un torchon qui en a connu d’autres. « C’est un peu mou en ce moment, mais y a la Sandy qui s’est remise avec Dylan, vraiment j’te jure un de ces quatre on va le retrouver aux faits divers cui-là, et pour une fois c’est dans l’autre sens. » Tu te frottes le cou, laissant quelques marques rouges là où tes ongles ont trop appuyé. « J’ai aussi vu Prisci l’autre jour, j’sais pas si tu vois qui c’est ? Bah elle se promenait encore avec une poussette et elle était d’nouveau enceinte. Ca va faire quoi ? Le 8e ? Et la poussette est toujours vide ! »
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« Le bouquin a une suite oui. Que je n’ai pas lue. Mais le film marche toujours aussi bien. Ca fait partie des classiques de la génération. Quand il y a une baisse de fréquentation le patron ressort des films pas chers comme ça qui marchent à coup sûr. Une histoire de nostalgie commerciale, j’ai pas tout compris. »
Il se redressa pour attraper sa bière, la sirota sagement comme un gosse à qui on a enfin filé son biberon, s’interrompit en écoutant les nouvelles.
« Mais naaan ? » commenta-t-il avec emphase – un truc très français qu’il avait appris à Paris et qu’on ne faisait pas trop en Corée sauf dans les dramas figurez-vous. « C’est un peu inquiétant quand-même leur histoire...Dans l’autre sens… ? »
Il leva un sourcil en signe d’interrogation. Une coutume française dont il n’était pas au courant, encore ?
« 8 enfants ? Eh bien elle doit être très occupée. » répliqua-t-il poliment.
Il s’était demandé plusieurs fois si ça faisait mal d’accoucher, en avait conclu que oui, et s’était dit que les femmes étaient simplement masochistes. Il laissa glisser de nouveau son coude sur le comptoir, déposa sa tête dans son bras, ancrée dans le creux de son coude, comme caché dans l’espoir d’une confidence.
« Et avec Clem alors ? » il papillonna des cils. « C’est quand le mariage ? »
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Petit poète | « Des classiques ? Vraiment ? Moi j’pensais que les classiques c’était genre dansez sous la pluie ou Rambo. T’sais les trucs qui passent sur RTL9. » T’observes un instant une tâche sur le comptoir qui était là d’aussi loin que t’es assez grand pour la voir. « Mais en vrai c’est quoi, un classique ? » Tu relèves la tête, lance un nouveau regard dans le lointain – ça donne un genre, il parait, d’avoir l’air profondément intéressé par une question aussi insoluble que technique.
« Bah… t’sais, elle a la main leste la Sandy. » Et pas que ça, et Dylan était le genre de mec qui laissait la vie se vivre sans lui, impassible en tout, qui n’avait d’avis que parce qu’on lui demandait d’en avoir un et le plus facile était de prendre celui qu’on lui demandait de prendre – bêtement, sans animosité, et il répétait, sans réellement y croire, tout ce qu’on lui disait. Il n’était pas foncièrement bête, juste las de tout ce qui impliquait de trop se frotter à une pensée construite. « Mais qu’est-ce tu veux y faire ? »
Tu te détournes un instant, autant pour surveiller la cuisson des frites que pour t’assurer que ta mère n’était pas dans le coin – elle aurait sauté sur l’occasion pour en remettre une couche (elle était plus impliquée dans votre relation que vous-même, tu te plaisais à lui dire). « Bah. On est pas … » Tu fronces les sourcils – vous avez jamais mis un mot ou pris le temps de vous concerter sur ce que vous étiez réellement, Clem et toi, et les gens aimaient bien le décider pour vous. « Et toi, quand est-ce que tu nous ramènes quelqu’un, hein ? » | | | | Messages : 29
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« C’est quoi Dansez sous la pluie ? » demanda Stanley avec curiosité.
Il connaissait le cinéma français par ce qu’on appelait La Nouvelle Vague, ce courant du début des années 1960 qui avait une célébrité inversement proportionnelle au temps qu’il avait duré, mais était complètement à l’ouest pour tous les autres objets de culture cinématographique qui concernaient le pays – en dehors des films qui sortaient au cinéma depuis la dernière année.
« Je sais pas. » répondit-il après un temps de réflexion. « Je dirais que c’est une chose caractéristique d’un élément en question. Tu sais qu’en Corée le film qui représente la France c’est Amélie Poulain ? Je l’ai pas trouvé si bien que ça. »
Il pinça les lèvres en mode « oups » mais ne sembla pas être plus gêné que cela.
« Ah ! Mais tu as 29 ans, non ? Il serait temps de s’y mettre. »
Pierre aurait toutes les raisons du monde de rembarrer ce pauvre type venu d’un pays rétrograde et coincé dans une époque révolue. En Corée du Sud, ne pas se mettre en couple après vingt-cinq ans et se marier autour de la trentaine faisait courir sur vous des soupçons qui mettaient en péril votre situation sociale. En France il avait constaté que c’était différent, heureusement.
C’était d’ailleurs ce qui lui permit de répondre avec détachement :
« C’est pas prévu, ça ne m’intéresse pas. »
Il pinça le nez.
« Tu vas faire cramer mes frites. »
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Petit poète | Tu fixes un moment Stanley, l’œil un peu torve – t’as l’air con, parce que ça te semblait être un classique sans grand risque, et voilà que t’allais devoir expliquer ce qu’était un film que t’avais jamais vu. « Un film où y a des gens qui chantent et dansent sous la pluie. T’sais, la scène où il danse autour d’un lampadaire ? » T’irais pas dire que t’avais des sueurs froides, mais t’avais donné tout ce que t’avais. « Ah ouais… Amélie Poulain…. » Là encore t’étais comme un con, parce que tout ce que tu connaissais, c’était la version de la B.O à l’harmonica qu’un mec arrêtait pas de faire au collège – ça devait être son équivalent de Wonderwall à la guitare. « En même temps, ça idéalise pas trop Paris en mode sous exta ? Ça fait longtemps que je l’ai vu. » Tu renifles d’un air faussement désabusé du provincial qui a tout vu et sait tout de panam. « Après faut dire que nous on connait que Parasite ou le train pour Busan, là. Ça donne pas non plus une image trop reluisante de ton pays. »
Tu plisses les yeux, l’observe d’un regard en coin un peu nerveux – à essayer de jauger s’il se foutait de ta gueule ou si c’était en réalité un daron avec une excellente crème de jour (ça t’étonnerait pas, au vu des magazines que tu lisais qui vantaient la peau de pêche de coréens même après la 30aine). « AH ! MERDE ! MES FRITES ! » Et ça te fait chier parce que t’avais ENFIN un sujet sur lequel le faire chier – tu le notes dans ton esprit, et l’oublies au bout de trois pas (maman dit qu’il te faudrait des compléments alimentaires, mais jusqu’ici tu t’es toujours souvenu de tout ce qu’il y avait d’important, tant pis pour le reste). Tu disparais auprès de la friteuse, manque de te balance quelques gouttelettes d’huile dessus en sortant trop prestement la panière (elles ont l’air correct, suffisamment pour être servies – puis au pire tu tamises la lumière, les gens auront une ambiance chill de fin de soirée et toi tu pourras servir des frites mortes de fin de soirée.).
Tu reviens en ayant balancé la moitié du lot dans une assiette (tu te fais plus chier en journée, avec une petite déco kitsch que ta mère a acheté à Action mais qui fait dans l’air du temps, type panières miniature ou barquette style rustique) et lui dépose le ketchup à côté de l’assiette. « Bon, on en était où ? » Tu plisses les yeux un moment, l’observant avec un air suspicieux. « Mec, j’veux savoir quand même, tu passes combien de temps sur ta coiffure le matin ? J’ai vu des tutos sur internet et tout mais ça a l’air de prendre au moins 4 heures. »
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« C’a le mérite d’être logique avec le titre. » répondit Stanley en dégotant son téléphone pour chercher le film sur internet. « Ah, Google me dit Chantons sous la pluie. C’est ça ? Ah oui, y’a un mec qui danse autour d’un lampadaire. Ben tu sais quoi, je l’ai jamais vu. Je le note, pour ma culture. »
Il haussa les épaules à propos d’Amélie Poulain.
« Non pas trop. Je crois que le pire dans ce sport là c’est les séries. Vous avez les dramas de chez nous en France un peu. Ca, ça idéalise de fou. Parasite est beaucoup plus réaliste. Mon pays est pas siii reluisant qu’on le dit. Enfin je suppose que tous les pays ont des squelettes dans le placard. C’est pas beau pour le tourisme. »
Il checka quelques menues notifications pendant que Pierre se débattait avec les frites, releva la tête lorsquela bonne odeur de gras s’invita à ses côtés. Il retourna l’objet et le dégagea sur le côté maintenant qu’il était inutile, s’empara de la bouteille de ketchup pour la retourner et la presser au dessus des frites dans un bruit de pet humide. Il en picora une, pensif.
« A vrai dire pas beaucoup de temps, ce qui compte c’est les soins que tu fais...comment on dit déjà ? Régulièrement, voilà, régulièrement et sur le long terme, pas ceux que tu fais tous les jours. En fait, des fois je prends du temps pour faire un truc, je suis pas satisfait, et c’est quand la journée va passer que ça va ajouter des détails et que ça va rendre bien, je sais pas si tu vois ce que je veux dire. »
Il amena sa frite dans sa bouche d’un mouvement de langue et l’avala.
« J’te montrerai stuv’, après j’suis pas un spécialiste et jles ai courts. Le pire c’est les filles. Celles qui les ont jusque là » Il pointa un endroit indéfini au niveau de ses hanches. « Elles doivent se prendre la tête tous les matins, mec. Mais c’est joli. »
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